Comprendre ce qu’est le processus d’altérisation nous permet de mieux nous outiller pour agir à plusieurs niveaux. En matière d’éducation, jeter un éclairage sur les mécanismes de construction de l’Autre contribue à une meilleure compréhension des conditions nécessaires au déploiement du processus génocidaire. De plus, cela aide à développer des réflexes de prévention devant des discours et des pratiques qui favorisent la production d’actes discriminatoires.

Qu’est-ce que l’altérisation?

L’altérisation est un processus par lequel on présente un groupe de personnes comme fondamentalement différentes, au point même de les considérer comme pas tout à fait humaines. Ce processus peut déclencher des réactions émotionnelles instinctives envers les membres de ce groupe. L’altérisation sert souvent à rabaisser et à isoler un groupe, ainsi qu’à rendre possible la discrimination, la violence ou la persécution à son égard.

Ce processus renvoie donc à la construction d’un groupe comme étant radicalement différent, à l’érection d’une frontière entre « Eux » et « Nous ».

Le guide éducatif Nous contre Eux : La création de l’Autre invite à explorer la relation entre l’altérisation, les violations des droits de la personne et le processus génocidaire. Cet outil propose d’étudier l’altérisation à travers l’Holocauste et le génocide contemporain des Rohingyas, une minorité musulmane du Myanmar, également connu sous le nom de Birmanie.

Couverture du guide pédagogique nous contre eux.

Quelle différence entre altérisation et catégorisation?

Altériser ne signifie pas simplement de classifier les individus en catégories.

La catégorisation est un processus à la fois cognitif et social. La catégorisation permet de simplifier la complexité des informations que notre cerveau doit traiter en les classant en catégories qui partagent des traits similaires.

La catégorisation des individus en groupes distincts relève aussi, quant à elle, des dynamiques des rapports sociaux, c’est-à-dire que certains traits sont socialement plus importants et servent donc à la catégorisation. Par exemple, nous pouvons catégoriser inconsciemment les personnes selon la couleur de leur peau, mais des catégories comme « Blancs » et « Noirs » sont des constructions sociales issues de rapports de domination racistes historiques.

Quels sont les mécanismes de l’altérisation?

L’altérisation consiste en deux étapes :

  • Catégoriser un groupe de personnes selon des différences perçues, comme l’origine ethnique, la couleur de la peau, la religion, le sexe ou l’orientation sexuelle;
  • Présenter ce groupe comme étant inférieur et utiliser la mentalité du « Nous contre Eux » pour l’isoler.

Ainsi, altériser ne signifie pas simplement de regrouper des personnes en fonction de traits qui les différencient, comme distinguer les chrétiens des musulmans ou les francophones des anglophones. C’est plutôt de présenter le groupe dominé comme étant radicalement différent et inférieur à « notre » groupe, au « Nous ».

À ce moment, on ne perçoit pas les individus altérisés comme ayant leurs particularités, leurs idées, leurs orientations, leurs désirs, mais plutôt comme des représentants de « leur » groupe, comme l’Autre.

L’altérisation est donc un processus qui mène à la négation de l’humanité des autres et qui soutient les inégalités, les discriminations et les persécutions.

Le concept d’altérisation est plus commun et intuitif en anglais où il se traduit par othering, littéralement « rendre autre ». On y comprend mieux aussi les dynamiques relationnelles de l’altérisation en prenant en compte le couple conceptuel othering et belonging (appartenance). Celles et ceux qui sont altérisé.e.s sont aussi construit.e.s comme n’appartenant pas au « Nous ». La façon dont est définie l’identité, le « Nous », est donc centrale à ce processus.

Exemples historiques

En prenant en exemple les cas de l’Holocauste et du génocide des Rohingyas, la construction de l’Autre, soit respectivement la construction du « Juif » et de l’ « immigrant illégal bengali », sert aussi à construire un Nous unifié, une nation allemande aryenne d’un côté et une nation birmane bouddhiste de l’autre.

Il importe de bien faire comprendre que c’est l’altérisation qui est problématique et non pas les différences, pas plus que la reconnaissance des différences.

Dès lors, dire que des Allemands sont Juifs ou que des Allemands s’identifient comme Juifs n’est pas problématique en soi. Le problème est la construction des Juifs comme Autres. Cela faisait en sorte qu’ils ne pouvaient appartenir au « Nous » allemand parce que l’identité allemande nazie excluait les Juifs. Les présenter comme étrangers et inférieurs justifiait ensuite leur discrimination, leur persécution et leur meurtre.

L’importance de la prévention

En août 2019, le conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la prévention du génocide, Adama Dieng, a rappelé que les crimes de haine commençaient avec le discours haineux. En d’autres termes, la prévention du génocide doit porter une attention particulière à la normalisation des discours haineux qui stigmatisent des minorités spécifiques. Ces discours encouragent leur discrimination et leur persécution.

L’importance d’aborder la question de l’altérisation et du racisme en classe n’est évidemment pas réductible à leur inscription dans le processus génocidaire.

L’altérisation soutient le racisme et les discours haineux qui, en soi, vont à l’encontre du respect des droits de la personne et d’une société où prévaut l’égalité, la justice et la liberté pour toutes et tous dans le respect des différences.

Dans une société multiculturelle, contrer l’altérisation ne passe pas par la suppression des différences ou l’aveuglement face à celles-ci. Cela passe plutôt par l’inclusion de toutes et tous en dépit des différences et par la lutte contre les discriminations.

Au Musée de l’Holocauste Montréal, notre approche pédagogique est guidée par la volonté de former de meilleurs citoyen.ne.s. Cela signifie de contribuer à les sensibiliser au respect de la dignité humaine et à l’importance de contrer les discriminations et les différentes formes de haine en agissant pour protéger leurs droits et ceux des autres.

Aller plus loin

L’exposition Nous et les Autres, des préjugés au racisme du Musée de l’Homme

L’outil pédagogique Nous contre Eux : La création de l’Autre du Musée de l’Holocauste Montréal et du Musée Canadien des Droits de la personne.

Nous contre Eux, le concept de l’Autre, article du Musée Canadien des Droits de la personne.