Dans cet article, nous vous proposons des conseils, des liens et des ressources pour faire face au racisme en ligne.
Nous devons être aussi responsables de notre comportement virtuel que dans la « vraie vie ».
Marie-Claude Landry, présidente de la Commission canadienne des droits de la personne.
Cette trousse vise à informer le public sur des moyens pour faire face au racisme en ligne
1. Qu’est-ce qu’un acte haineux en ligne?
2. Quelles sont les responsabilités des différents acteurs?
3. Comment réagir au racisme en ligne?
4. À qui rapporter les contenus haineux?
5. Comment signaler les contenus haineux sur les médias sociaux?
6. Comment faire en sorte que les médias sociaux agissent contre les contenus haineux?
7. Quels sont les outils pour l’éducation à la cyber-citoyenneté?
La montée des discours intolérants, xénophobes et racistes est particulièrement visible sur Internet et les médias sociaux. La libération de la parole que l’on peut observer dans les discours politiques et médiatiques y est exacerbée.
En 2017, une analyse canadienne a montré que le langage raciste, islamophobe, sexiste ou autrement intolérant avait augmenté de 600% en un an*. Au Canada, 8 jeunes sur 10 disent voir souvent ou parfois des commentaires racistes sur les médias sociaux**.
Internet n’est pas et ne doit pas être un espace où le racisme peut se diffuser en toute impunité.
Peu importe le lieu d’expression, que ce soit en ligne ou non, le racisme doit être combattu afin que toutes et tous puissent réellement bénéficier de façon égalitaire de leurs droits et libertés.
Ignorer le problème n’est pas une solution. Le temps est à l’action et à la solidarité. Un commentaire raciste n’est pas innocent. Il participe à des discours de stigmatisation sociale qui vont à l’encontre de l’idée d’une société juste et égalitaire. Ce type de propos contribue à la polarisation et participe à la création d’un climat d’insécurité pour les individus et groupes ciblés.
*Source : « Canadians appear to be more hateful online. Here’s what you can do about it », CBC, 2017
**Source : « Most Canadians have seen hate speech on social media: survey », Montreal Gazette, 2019
1. Qu’est-ce qu’un acte haineux en ligne?
La frontière entre la liberté d’expression et le discours haineux n’est pas toujours évidente. Toutefois, au Canada, les individus ne peuvent pas exprimer n’importe quel propos sur la place publique.
Les tribunaux canadiens ont statué que des limites raisonnables à la liberté d’expression peuvent être fixés dans le but de lutter contre les propos haineux. La limitation de la liberté d’expression doit toutefois faire l’objet d’un examen minutieux.
Selon les articles 318 et 319 du code criminel, il est criminel au Canada d’encourager un génocide, d’inciter à la haine et de fomenter volontairement la haine envers un groupe identifiable par sa couleur, sa race, sa religion, son origine nationale ou ethnique, son âge, son sexe, son orientation sexuelle ou sa déficience mentale ou physique.
En vertu de la section 320.1 du code criminel, un juge a le pouvoir d’ordonner le retrait de propagande haineuse sur un ordinateur. Par contre, cette disposition n’a été que très rarement utilisée.
Les propos haineux peuvent toutefois être diffusés de façon moins contraignante sur Internet que sur d’autres médias qui, comme la télévision, sont soumis à la Loi sur la radiodiffusion. Cette dernière interdit la diffusion de propos offensants à l’endroit d’une personne ou d’un groupe sur la base d’un motif discriminatoire.
Crime ou incident à caractère haineux?
Il existe, aux yeux de la loi, une différence entre un crime haineux et un incident à caractère haineux. Les deux sont motivés par des préjugés et stéréotypes, mais le premier implique une activité criminelle. Qu’ils soient ou non du ressort du système judiciaire, tous les actes haineux doivent être dénoncés et combattus, y compris sur Internet.
Incident à caractère haineux : tout acte non criminel qui affecte le sentiment de sécurité d’une personne ou d’un groupe identifiable de personnes, et qui, compte tenu du contexte, est perçu comme un geste ciblé, visant la personne ou le groupe du fait, notamment, de sa race, de son origine nationale ou ethnique, de sa langue, de sa couleur, de sa religion, de son sexe, de son âge, de son orientation sexuelle, de son identité ou expression de genre, ou d’une incapacité physique ou mentale.*
Exemples d’incidents à caractère haineux :
- Diffuser du matériel discriminatoire en personne ou sur Internet
- Intimider une personne sur les médias sociaux en raison de sa religion
- Interpeler quelqu’un par des expressions racistes
- Insulter une personne sur la base de son origine nationale ou ethnique
- Faire des blagues offensantes sur la couleur de la peau ou l’orientation sexuelle d’une personne
Crime haineux : un crime motivé par la haine est une infraction criminelle motivée ou soupçonnée d’être motivée par la haine de la race, l’origine nationale ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l’âge, l’incapacité mentale ou physique, l’orientation sexuelle ou tout autre facteur similaire.**
Exemples de crimes haineux :
- Dessiner une croix gammée sur un bien public
- Menacer une personne en raison de son appartenance religieuse
- Attaque physiquement une personne en raison de la couleur de sa peau.
- Proférer des menaces à l’endroit d’une personne sur les médias sociaux en lien avec son origine ethnique
- Vandaliser un lieu comme une synagogue, un temple bouddhiste ou une mosquée
Source* : « Crime haineux et incident à caractère haineux », SPVM
Source** : « Crime haineux », CPRMV
2. Quelles sont les responsabilités des différents acteurs en ligne?
L’Anti-Defamation League a identifié les meilleures pratiques pour répondre à la haine en ligne.
Les entreprises de médias sociaux doivent :
- Prendre au sérieux les rapports sur la haine en ligne, en tenant compte des principes fondamentaux de la liberté d’expression, de la dignité humaine, de la sécurité personnelle et du respect de la légalité;
- Expliquer clairement aux utilisateurs leur approche en matière d’évaluation et de résolution des rapports de contenu haineux, en soulignant les conditions de service correspondantes;
- Proposer des mécanismes et des procédures conviviaux pour signaler les contenus haineux;
- Répondre aux rapports des utilisateurs en temps voulu;
- Appliquer les sanctions prévues par leurs conditions de service de manière cohérente et équitable.
Le public sur Internet devrait :
- Travailler ensemble pour faire face aux conséquences néfastes de la haine en ligne;
- Identifier, mettre en œuvre ou encourager des stratégies efficaces de contre-discours – y compris une réponse directe ou simplement mettre les choses au clair;
- Partager les connaissances et aider à développer du matériel éducatif et des programmes qui encouragent la pensée critique dans les activités en ligne proactives et réactives;
- Encourager les autres parties intéressées à contribuer à la sensibilisation au problème de la haine en ligne et à la nécessité urgente de le résoudre;
L’Anti-Defamation League a répertorié les politiques des géants du web relatives à la haine. Vous pouvez donc vous baser sur leur définition pour signaler des contenus haineux et les inciter à faire respecter leurs politiques.
3. Comment réagir au racisme en ligne?*
Si vous connaissez la personne qui est l’auteure de propos racistes en ligne, il peut être préférable de la contacter en privé plutôt que de la confronter en public. Autrement, cela risque de la mettre sur la défensive et de l’inciter à défendre ses propos plutôt que d’y réfléchir.
Que vous connaissiez ou non la personne, vous êtes parfaitement en droit de vous défendre publiquement si vous vous sentez attaqué·e.
Vous pouvez d’abord poser une question pour éclaircir la position de la personne. Parfois, les commentaires sont courts et peuvent être sujets à différentes interprétations. En posant une question, vous pouvez être en mesure de mieux comprendre la position de la personne et d’adapter votre réponse en conséquence.
Poser une question peut aussi être une stratégie pour chercher à amener la discussion sur des faits plutôt que sur des préjugés et stéréotypes racistes. Par exemple, si quelqu’un parle d’une invasion en référence à l’immigration, vous pouvez lui poser la question à savoir combien d’immigrant·e·s sont admis·es et au Québec annuellement. De 2010 à 2018, le Québec recevait environ 50 000 personnes par an pour une population de plus 8 millions.
Vous pouvez apporter des faits pour déstabiliser les propos racistes. Par exemple :
- Si une personne associe les minorités racialisées à la criminalité, vous pouvez faire référence aux rapports sur le profilage racial et au fait que le principal indicateur de la taille des services de police du Canada est le nombre de membres de « minorités visibles » et autochtones, peu importe le taux réel de criminalité. Plus il y a de policiers pour surveiller les minorités, plus elles sont criminalisées.
- Si une personne parle d’une invasion musulmane, vous pouvez rappeler que le nombre de personnes musulmanes est surestimé partout en Occident du fait de leur hyper-visibilité médiatique. En 2016, les Canadien·ne·s pensaient qu’elles représentaient 17% de la population alors que la réalité était de 3,2%.
- Si une personne soutient que tous les Juifs sont riches et ne pensent qu’à l’argent, vous pouvez répondre qu’ils se retrouvent dans toutes les classes sociales. En 2011, une personne juive sur cinq vivait sous le seuil de la pauvreté à Montréal.
- Si quelqu’un affirme que les personnes réfugiées viennent au Canada pour profiter du système de protection sociale et qu’elles reçoivent un montant supérieur à celui des aîné·e·s, vous pouvez démentir cette fausse rumeur en expliquant en quoi l’aide temporaire du gouvernement est très limitée. Le soutien financier particulier est d’une année et est réservé aux personnes réfugiées parrainées par l’État et qui n’ont pas d’autres ressources ou revenus. Elles ont droit à une allocation unique d’un maximum de 1 300$ et à un montant par mois équivalent aux prestations d’aide sociale.
Vous pouvez donner des liens vers des sources fiables. Il peut s’agir d’études ou de rapports gouvernementaux, d’articles rédigés par des journalistes professionnels, de données statistiques officielles, etc. Vous pourrez ensuite mettre fin à la conversation en ayant le sentiment d’avoir contribué à l’éducation tout en vous protégeant.
Il faut toujours garder en tête la protection de soi et adopter des pratiques saines pour soi (self-care). Il est important de s’imposer des limites afin de ne pas se laisser entraîner dans des échanges qui finissent par être blessant. Le fait de répondre doit être empowering (habilitant) et non pas émotionnellement éprouvant. La charge émotionnelle est fondamentalement différente entre l’auteur et la cible. Alors que la cible risque de sortir blessée et profondément en colère d’un échange avec la personne qui est l’auteure d’un message raciste, cette dernière peut en sortir gagnante d’un point de vue émotionnel en tirant plaisir du fait de blesser sa cible. Il faut donc savoir quand mettre un terme à la conversation pour son propre bien-être. Vous pouvez par exemple vous limiter à deux commentaires.
Le fardeau de répondre aux contenus racistes ne doit pas reposer simplement sur les personnes ciblées. Les témoins peuvent aussi faire preuve de solidarité et apporter leur soutien de différentes façons :
- Participer à la discussion en argumentant et en soutenant les personnes ciblées, sans les réduire au silence
- Aimer une réponse qui s’oppose à un message raciste. C’est une façon de dire « tu n’es pas seule, je te soutiens »
- Signaler les contenus racistes à la plateforme numérique ou aux autorités compétentes
Au-delà de la résistance aux contenus négatifs, vous pouvez :
- Commenter et appuyer les contenus positifs que vous rencontrez.
- Diffuser des contenus positifs et antiracistes pour donner à voir des perspectives différentes et créer des solidarités
- Parler à vos proches de ce que vous observez en ligne pour les sensibiliser au problème
Source* : « Canadians appear to be more hateful online. Here’s what you can do about it », CBC, 2017 ; « Confronting Hate Online », Anti-Defamation League, 2014
Le Southern Poverty Law Center propose un guide avec 10 façons de combattre la haine :
- Agir : L’inaction peut être vue comme une forme d’acceptation aux yeux de l’autrice ou de l’auteur comme de la victime
- Unir les forces : Faire appel à des allié·e·s et créer des coalitions
- Soutenir les victimes : Faire savoir aux victimes qu’elles ne sont pas seules
- Prendre la parole : Ne pas débattre avec des membres de groupes haineux dans des espaces conflictuels. Exposer et dénoncer la haine. Faire appel aux medias
- S’éduquer : Savoir identifier ce qu’est un crime et un groupe haineux
- Créer une alternative : Attirer l’attention des médias vers une initiative qui promeut l’égalité
- Faire pression sur les leaders : Faire des élu·e·s et leaders communautaires des allié·e·s. de la lutte
- Rester engagé·e : Adresser les préjugés et stéréotypes. Ne pas attendre le prochain incident ou crime haineux
- Enseigner l’acceptation de la différence : Rejoindre les jeunes qui peuvent être influencés par la propagande haineuse
- Aller plus loin : Examiner ses propres préjugés et stéréotypes et contrer la haine dans tous les milieux
4. À qui rapporter les contenus haineux?*
Si vous êtes victime ou témoin d’un crime haineux :
- Appelez le 9-1-1.
- Contactez votre poste de police local.
- Signalez l’événement, de manière anonyme, à Info-Crime Montréal (514-393 1133)
- Signalez l’événement, par Internet à la Sureté du Québec.
- Téléphonez à un centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) (1-866-532-2822).
- Communiquez avec le Centre de prévention menant à la violence, par téléphone (1-514-687-7141 / 1-877-687-7141) ou en remplissant le formulaire électronique.
Si vous êtes victime ou témoin d’un incident à caractère haineux :
- Communiquez avec le Centre de prévention menant à la violence, par téléphone (1-514-687-7141 / 1-877-687-7141) ou en remplissant le formulaire électronique.
- Contactez la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (1 800 361-6477)
- Informez-vous sur la procédure pour porter plainte.
- Remplissez un rapport de police en ligne.
Si vous comptez signaler des propos racistes en ligne, prenez en note un maximum d’informations :
- Quand est-ce que l’incident a eu lieu ou que le contenu a été vu? Notez la date et l’heure. Les contenus en ligne peuvent être facilement supprimés.
- Quel est le support du contenu raciste? Est-ce un courriel, un tweet, un commentaire sur Facebook, etc. ?
- Quel est le nom d’utilisateur ou l’adresse URL s’il s’agit d’une page web?
- Prenez des captures d’écrans puisque des utilisateurs peuvent diffuser des messages racistes et les supprimer de façon systématique de façon à se protéger des conséquences possibles.
Source* : « Incident haineux », CPRMV
5. Comment rapporter les messages haineux sur les médias sociaux?
Prenez connaissance des termes de services et des standards de la communauté. Il est généralement stipulé que les propos haineux et le racisme sont interdits. Il faut donc s’assurer que les gestionnaires assurent leurs responsabilités et fassent honneur à leurs principes énoncés.
Des mécanismes sont mis à la disposition des utilisatrices et utilisateurs pour signaler les contenus haineux sur les médias sociaux.
Voici les démarches à suivre pour les principaux médias sociaux :
6. Comment faire en sorte que les médias sociaux agissent contre les contenus haineux?
En 2018, l’Allemagne a adopté la loi « NetzDG » qui contraint les entreprises de médias sociaux à supprimer les fausses nouvelles et les contenus haineux diffusés sur leurs plateformes. Ils ont 24 heures pour le faire, sans quoi ils s’exposent à une amende de 50 millions d’euros. La procédure se met en branle dès que, par exemple, une personne alerte Twitter.
Cette loi demeure controversée pour deux raisons complémentaires.
Premièrement, il est difficile de définir ce qu’est un message haineux. L’intelligence artificielle ne serait pas encore apte à repérer adéquatement les contenus haineux. Le travail revient donc aux modératrices et modérateurs et la loi les incite à supprimer en cas de doute, ce qui peut mener à des abus. Selon Human Rights Watch, cette loi viole le droit à la liberté d’expression. Non seulement les sociétés de médias sociaux sont incitées à supprimer en cas de doute, mais les utilisateurs ne peuvent faire appel de la décision. Ce type de loi ouvre aussi la porte à des dérives autoritaires. Un précédent est créé pour des États qui cherchent à restreindre la liberté d’expression. Ils pourraient faire des fournisseurs de médias sociaux leurs censeurs à l’endroit d’artistes, d’opposants politiques, de journalistes, etc.
Deuxièmement, de telles mesures coercitives risquent d’encourager une rhétorique centrale du racisme contemporain. Cette dernière avance que les blanc·he·s sont victimes des élites multiculturalistes et des minorités. En Allemagne, le parti d’extrême droite AfD capitalise sur cette législation en dénonçant la rectitude politique. Ses représentant·e·s parlent par exemple d’une « DDR 2.0 » en référence à la censure de la Stasi à l’époque de l’Allemagne de l’Est. L’extrême droite peut donc s’en servir pour jouer à la victime et attirer de la sympathie à son endroit.
Au Canada, le Centre for Israel and Jewish Affairs (CIJA) a lancé la campagne #NotOnMyFeed. Cette campagne demande au Gouvernement du Canada de développer une stratégie nationale de lutte contre la haine en ligne pour protéger les Canadien·ne·s tout en préservant la liberté d’expression.
7. Quels sont les outils pour l’éducation à la cyber-citoyenneté?
La plateforme collaborative Seriously a pour but d’aider le grand public à désamorcer les discours de haine en ligne. Elle propose des données factuelles pour développer le débat rationnel et critique, de l’accompagnement psychologique et des ressources pour aider les utilisatrices et utilisateurs à appuyer leur argumentation. De plus, elle fournit des conseils en fonction du type de message : islamophobe, antisémite, raciste, sexiste, anti-LGBTQ, xénophobe, désinformation ou autres. Comme il s’agit d’une plateforme française, les données proposées sont propres à ce contexte national.
HabiloMédias, le centre canadien d’éducation aux médias et de littératie numérique, propose une trousse pédagogique sur la haine et les discriminations dans les medias et sur Internet. Elle s’adresse aux enseignant·e·s, aux élèves, aux corps policiers et au grand public. Une section porte spécifiquement sur la propagande haineuse sur Internet. On y trouve des ressources pédagogiques adaptés à différents niveaux scolaires ainsi que le tutoriel « Face à la haine en ligne ».
Au printemps 2019, la Commission Européenne lancera la trousse d’outils SELMA (Social and Emotional Learning for Mutual Awareness). Le projet SELMA vise à s’attaquer au problème de la haine en ligne en habilitant les jeunes à devenir des agent·e·s de changement.
Le CPRMV offre une activité de prévention et de sensibilisation visant à contrer les discours haineux en ligne. L’atelier est basé sur le jeu WediActivists conçu dans le cadre de la campagne NON À LA HAINE.
Ressources :