La présence juive en Tunisie remonte au 2e siècle avant notre ère. Sous le Régime de Vichy en 1940, les Juifs tunisiens subissent des lois discriminatoires et de nombreuses restrictions. L’occupation allemande de novembre 1942 à mai 1943 intensifie les persécutions. Environ 5000 hommes Juifs sont envoyés dans des camps de travail et d’internement. La campagne de Tunisie en 1943 met fin à l’occupation allemande, mais le commandement français maintient la législation antisémite de Vichy jusqu’à la fin du régime en 1944.


L’Holocauste en Tunisie

La présence d’une communauté juive sur le territoire de la Tunisie remonte au 2e siècle avant notre ère, à l’époque carthaginoise[1]. La communauté juive de Tunis augmente progressivement lors du 11e siècle, mais la conquête almohade[2] au 12e siècle marque un frein à cette croissance. Après la prise de Tunis, le calife almohade Abd al-Mumin force les Juifs et les chrétiens à se convertir à l’Islam. Cependant, la dynastie des Hafsides rétablit le statut de dhimmi (statut accordé aux non-musulmans, selon lequel ils devaient payer un impôt à l’État musulman en échange de leur protection) aux juifs et aux chrétiens au cours du 13e siècle. Les Juifs peuvent ainsi se regrouper en communautés et pratiquer publiquement leur religion. Certains d’entre eux retournent à Tunis et se ré-installent dans le quartier de la Hara, strictement réservé à la communauté juive[3].

La situation de la communauté juive connaît une certaine amélioration avec l’instauration du protectorat français en 1881. Toutefois, les Juifs subissent encore de l’antisémitisme. Avec la promesse révolutionnaire de Liberté, Égalité, Fraternité, de nombreux Juifs tunisiens commencent à s’identifier à la culture française, dans l’espoir de voir leur statut s’améliorer. Cependant, la situation des Juifs de Tunisie se dégrade radicalement en 1940, avec la mise en place du Régime de Vichy[4].

La France de Vichy

La Tunisie, comme le Maroc et l’Algérie, tombe sous le joug du Régime de Vichy, instauré en France en juillet 1940. La législation antisémite et raciste mise en place par Vichy en France hexagonale s’étend progressivement à ses colonies d’Afrique du Nord et de l’Ouest. Cette législation prive les Juifs algériens de leur française et certains Juifs d’Afrique du Nord de leurs biens, de leurs entreprises et de leurs avoirs, tout en leur imposant des quotas dans de nombreuses professions. Ces lois ne sont toutefois pas appliquées de manière uniforme à travers l’Afrique du Nord.[5] Le Maroc et la Tunisie, par exemple, sont sous protectorat français. Le Sultan du Maroc Mohamed V et le Bey de Tunisie Mohamed el-Moncef Bey sont contraints d’imposer les lois et décrets de Vichy. Cependant, ils tenteront, à divers degrés, de protéger la population juive.[6].

En Tunisie, l’administration française de Vichy met en place de multiples restrictions et mesures discriminatoires, bien que de manière inégale et sporadique. L’application du recensement obligatoire des Juifs en septembre 1941 et de la création du Commissariat général aux questions juives en sont des exemples.[7] L’occupation du pays par les troupes allemandes en novembre 1942 renforce et systématise les mesures introduites par le gouvernement de Vichy, tout en instituant de nouvelles persécutions pour les Juifs tunisiens.

L’occupation allemande

            La Tunisie est le seul pays d’Afrique du Nord à avoir été occupé par l’Allemagne nazie entre novembre 1942 et mai 1943. Dès les premières semaines de l’occupation, les nazis persécutent les Juifs en arrêtant entre autres les dirigeants de la communauté juive[8]. À cette mesure antisémite s’ajoutent des rafles, des pillages, la famine, les violences de guerre et d’autres lois raciales discriminatoires.

Avec l’aide des collaborateurs français de Vichy et de leurs alliés fascistes italiens, les nazis imposent plusieurs mesures antisémites qui restreignent le déplacement des Juifs. Parmi celles-ci, des milliers de Juifs tunisiens sont contraints de porter l’étoile jaune et le Comité de Recrutement de la Main-d’Oeuvre Juive doit fournir des travailleurs forcés. Alors que les nazis sont prêts à mettre en œuvre le meurtre systématique des Juifs de Tunisie, avec la présence d’un Einsatzkommando (un sous-groupe issu des unités mobiles de tuerie nazies) dirigé par le commandant S.S. Walter Rauff, les contraintes de temps, le manque de ressources et l’évolution du conflit mettent un frein à leur plan d’assassinat. Les mesures discriminatoires introduites par Vichy ont néanmoins permis à l’occupation nazie d’aggraver la situation de nombreux Juifs en Tunisie[9].

Ainsi, environ 5 000 hommes juifs sont envoyés dans des camps de travail et d’internement.[10] À ce nombre s’ajoutent femmes, hommes et enfants qui souffrent des conditions difficiles de l’occupation, de harcèlement, de violences physiques et sexuelles, d’arrestations, d’internements et de spoliations.[11] C’est le cas de Gilbert-Mardochée Mazouz, tué à l’âge de 19 ans par un soldat allemand alors qu’il se rendait au camp de Cheylus, près de Tunis[12]. Le cas des Juifs tunisiens partis en Europe avant la guerre et déportés dans les camps de concentration et les centres de mise à mort nazis doit également être considéré. Messaoud Hai Victor Perez, boxeur tunisien détenu au camp d’internement de Drancy et déporté à Auschwitz, en est un exemple. Forcé par les SS à participer à plusieurs combats de boxe à Auschwitz, il est assassiné lors d’une marche de la mort le 21 janvier 1945, après avoir tenté de partager du pain avec d’autres prisonniers[13].

La campagne de Tunisie et la prise de Tunis par les Alliés en mai 1943 contraignent les forces de l’Axe à la reddition. Malgré la libération, la Tunisie demeure sous domination coloniale française. Sous le commandement du haut-commissaire de la France libre, le général Henri Giraud maintient la législation antisémite de Vichy jusqu’à la fin du régime en 1944. De nombreux camps mis en place par Vichy, dont les camps de travail du Sahara, continuent également de fonctionner, parfois avec les mêmes surveillants que pendant la guerre[14]. Une variété de prisonniers y seront détenus, dont des Juifs et des musulmans tunisiens, des réfugiés européens, des militants anticolonialistes, ainsi que des conscrits provenant d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique du Nord[15].

Plaque commémorative à la mémoire de Young Perez, célèbre boxeur juif tunisien,
au cimetière du Borgel à Tunis. Il a survécu à Auschwitz,mais a été abattu
lors d’une marche de la mort après l’évacuation du camp en 1945.

En apprendre davantage sur l’Holocauste en Tunisie

Pour en apprendre davantage sur l’Holocauste en Tunisie, n’hésitez pas à consulter les témoignages de Roger Abitbol et de Myriam Moatti sur notre page Histoire de survivants, ainsi que ceux de Gisèle Braka et Gilbert Uzan sur notre chaîne Youtube.

Si vous êtes enseignant.e, utilisez notre fiche d’analyse de témoignage pour faire l’étude de ces vidéos avec vos élèves.

Références

  • Borgel. Robert. Étoile jaune et croix gammée (Paris : Mémorial de la Shoah. Collection Témoignage de la Shoah, 2007)
  • Boum, Aomar and Sarah Abrevaya Stein (eds.) Wartime North Africa: a documentary history, 1934-1950 (Redwood City: Stanford University Press, 2021)
  • Brozgal, Lia. “The Ethics and Aesthetics of Restraint: Judeo-Tunisian Narratives of Occupation” in Aomar Boum and Sarah Abrevaya Stein (eds.) The Holocaust and North Africa (Redwood City: Stanford University Press, 2018)
  • Lee, Daniel. “The Commissariat Général aux Questions Juives in Tunisia and the Implementation of Vichy’s Anti-Jewish Legislation” in Aomar Boum and Sarah Abrevaya Stein (eds.) The Holocaust and North Africa (Redwood City: Stanford University Press, 2018)
  • Schroeter, Daniel J. “Between Metropole and French North Africa Vichy’s Anti-Semitic Legislation and Colonialism’s Racial Hierarchies,” in Aomar Boum and Sarah Abrevaya Stein (eds.) The Holocaust and North Africa (Redwood City: Stanford University Press, 2018)
  • European Jewish Congress, “Tunisia,” [Ressource en ligne]; https://eurojewcong.org/communities/tunisia/
  • Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient, « Les Juifs de Tunisie. Quelques repères historiques, » [Ressource en ligne]; https://iremmo.org/wp-content/uploads/2016/02/1020.juif_.pdf
  • Jimena Tunisian Experience, “Jewish History,” [Ressource en ligne]; http://jimenaexperience.org/tunisia/about/jewish-history/
  • Nataf, Claude. « Rencontre : 75 ans après la rafle de Tunis du 9 décembre 1942», Mémorial de la Shoah et Société d’histoire des Juifs de Tunisie, [Ressource en ligne]; https://www.youtube.com/watch?v=u6KibKBRXbo
  • Ochayon, Sheryl Silver. “The Jews of Algeria, Morocco and Tunisia,” Yad Vashem [Ressource en ligne]; https://www.yadvashem.org/articles/general/the-jews-of-algeria-morocco-and-tunisia.html
  • Satloff, Robert. “The Arabs Watched Over the Jews,” in Among the Righteous. Lost Stories from the Holocaust’s Long Reach into Arab Lands in USHMM [Ressource en ligne]; https://www.ushmm.org/m/pdfs/20061207-satloff-english-chapter-5.pdf
  • World Jewish Congress, “Community in Tunisia,” [Ressource en ligne]; https://www.worldjewishcongress.org/en/about/communities/TN
  • Yad Vashem, “Tunisia,” Shoah Resource Center [Ressource en ligne]; https://www.yadvashem.org/odot_pdf/Microsoft%20Word%20-%205892.pdf
[1] World Jewish Congress, “Community in Tunisia,” [Ressource en ligne]; https://www.worldjewishcongress.org/en/about/communities/TN
[2] En histoire, membre d’une dynastie berbère qui se substitua à celle des Almoravides, elle régna sur l’Afrique septentrionale et la moitié de l’Espagne de 1147 à 1269. RODINSON, Maxime. « ALMOHADES ». Encyclopædia Universalis, [Ressource en ligne] www.universalis.fr/encyclopedie/almohades.
[3] Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient, « Les Juifs de Tunisie. Quelques repères historiques,» [Ressource en ligne]; https://iremmo.org/wp-content/uploads/2016/02/1020.juif_.pdf
[4] Jimena Tunisian Experience, “Jewish History,” [Ressource en ligne]; http://jimenaexperience.org/tunisia/about/jewish-history/
[5] Boum, Aomar and Sarah Abrevaya Stein (eds.) Wartime North Africa: a documentary history, 1934-1950 (Redwood City: Stanford University Press, 2021), 8-9; Lee, Daniel. “The Commissariat Général aux Questions Juives in Tunisia and the Implementation of Vichy’s Anti-Jewish Legislation” in Aomar Boum and Sarah Abrevaya Stein (eds.) The Holocaust and North Africa (Redwood City: Stanford University Press, 2018)
[6] Schroeter, Daniel J. “Between Metropole and French North Africa Vichy’s Anti-Semitic Legislation and Colonialism’s Racial Hierarchies,” in Aomar Boum and Sarah Abrevaya Stein (eds.) The Holocaust and North Africa (Redwood City: Stanford University Press, 2018); Robert Satloff, “The Arabs Watched Over the Jews,” in Among the Righteous. Lost Stories from the Holocaust’s Long Reach into Arab Lands in USHMM [Ressource en ligne]; https://www.ushmm.org/m/pdfs/20061207-satloff-english-chapter-5.pdf
[7] Lee, Daniel. “The Commissariat Général aux Questions Juives in Tunisia,” Op. Cit.
[8] Ochayon, Sheryl Silver. “The Jews of Algeria, Morocco and Tunisia,” Yad Vashem [Ressource en ligne]; https://www.yadvashem.org/articles/general/the-jews-of-algeria-morocco-and-tunisia.html
[9] Lia Brozgal. “The Ethics and Aesthetics of Restraint. Judeo-Tunisian Narratives of Occupation” in Aomar Boum and Sarah Abrevaya Stein (eds.) The Holocaust and North Africa, Op. Cit.
[10] Boum, Aomar and Sarah Abrevaya Stein (eds.) Wartime North Africa: a documentary history, 1934-1950, Op. Cit., 13-15. Voir aussi Nataf, Claude. « Rencontre : 75 ans après la rafle de Tunis du 9 décembre 1942 », Mémorial de la Shoah et Société d’histoire des Juifs de Tunisie, [En ligne]; https://www.youtube.com/watch?v=u6KibKBRXbo
[11] Robert Borgel. Étoile jaune et croix gammée (Paris : Mémorial de la Shoah. Collection Témoignage de la Shoah, 2007)
[12] Gilbert Mazouz. « ‘Notre premier martyr.’ Gilbert Mazouz, Tunis 1942 » Gilbert Mazouz [En ligne]; https://www.gilbertmazouz.com/assassinat
[13] Boum, Aomar and Sarah Abrevaya Stein (eds.) Wartime North Africa: a documentary history, 1934-1950, Op. Cit., 15. See also Yad Vashem. “Boxing for his Life – Victor “Young” Perez – Podcast” Yad Vashem [Online Ressource]; https://www.yadvashem.org/education/educational-materials/lesson-plans/human-spirit-podcast/viktor-perez.html
[14] Ibid., 16
[15] Ibid., 12